Cette Ombre (qui, comme nous l'apprenons rapidement, se nomme Décarth'a) me rappelle certains de mes meilleurs souvenirs de mes pérégrinations d'antan. les gens y sont accueillants, le Soleil y brille, la vie suit son cours et la chaleur est fort agréable. Mais rapidement mon "bon sens" ambrien naissant me rappelle à l'ordre : que cela peut-il bien cacher ? Après nous être renseignés, nous découvrons que nous nous trouvons dans la capitale, et que la Palais Impérial est tout proche. Nous nous dirigeons donc vers ce dernier, dans l'espoir d'y trouver un peu d'aide.
     Et, si l'accès y est fort aisé, l'Impératrice Segolis qui y séjourne est beaucoup moins coopérative que ses sujets. Elle reconnaît la présence en son Palais de Lord Rein, mais nos demandes n'aboutissent pas, malgré notre véhémence et le recours à notre argument principal en ces temps troublés, à savoir que nous agissons pour la Régente elle-même. Ne voulant pas faire appel à la violence ou à d'autres méthodes vulgaires, nous préférons sortir afin de discuter plus tranquillement. C'est alors que nous sommes rejoints par Erwil (sans aucune explication d'ailleurs, mais nous préférons ne pas relever ce détail, afin de ne pas compliquer plus avant la situation déjà fort complexe). Après moult tergiversations, nous décidons de nous imposer au repas du soir, ce qui forcera Lord Rein à rester dans sa chambre, puisqu'il ne veut apparemment pas nous voir. Pendant ce temps-là, tandis qu'Erwil se joindra à nous pour conserver le compte, l'un des nôtres se glissera subrepticement dans les cuisines, et suivra tout serviteur susceptible d'apporter un repas à Lord Rein. Mes capacités en matière de Sorcellerie me désignent tout naturellement pour une telle mission, et c'est pourquoi je me propose spontanément. Erwan s'y oppose fermement, et s'impose comme " l'homme de la situation ", sans pour autant nous exposer son plan. Après réflexion, je le laisse faire, mais son comportement méfiant envers moi ne fait qu'attiser mes soupçons sur lui. Je décide d'agir dès ce soir.
     C'est un magnifique Soleil rouge qui nous baigne de sa lumière de sang lorsque nous revenons enfin au Palais. Les habitants ont anticipé nos souhaits, et nous sommes chaudement accueillis par des hauts Dignitaires de l'Ombre. Nous sommes conduits dans une délicate cour intérieure, où une longue table a été aménagée sur une sorte d'estrade. Le repas que l'on nous y sert est délicieux, mais je n'y prête guère attention. Au moment propice, je m'excuse et me dirige vers les toilettes, où je me couvre d'un charme d'invisibilité, et lance sur moi-même un Sort permettant d'observer les émanations rituelles et spirituelles, ce afin de repérer la présence d'Erwan s'il utilise également de tels artifices. Mais les cuisines sont vides de telles traces, le Palais est immense et les quelques serviteurs que je parviens à suivre ne me permettent pas de trouver Lord Rein.
     Quelque peu dépité, je reviens donc au repas, remarque avec quelque étonnement que le Chaosien s'est également éclipsé, et écoute aimablement les paroles de nos hôtes, glissant ça et là quelque réplique amusante, ou quelque anecdote savoureuse. Mais la fin du repas nous réserve encore une surprise : alors que nous nous délectons de quelques spécialités sucrées de la région, le grand Chambellan Kafir entre, suivi de nombreux gardes, et nous intime l'ordre de rester calmes. Devant un tel spectacle, nous nous levons tous et commençons à réclamer des explications, comme notre rang nous y donne droit. La réponse ne se fait pas attendre : ses hommes ont arrêté Erwan dans une partie interdite du Palais, et son remplacement par Erwil n'était de toute façon pas passé inaperçu. Nous sommes donc accusés de haute trahison. S'ensuit un brouhaha généralisé, car chacun d'entre nous veut donner son explication. Celle d'Erwil est basée sur sa non-ingérence, et son inconscience de notre but, tandis que d'autres restent silencieux, mais enragent. C'est le cas de Kalmdeck, que je vois perdre contrôle à vue d'œil. C'est pourquoi, craignant de voir la situation se transformer en un massacre général (avec tous les problèmes qui en découlent, si tant est que nous soyons encore en vie pour les régler), je décide de prendre la parole. J'invoque notre ignorance des actions exactes d'Erwan, ainsi que des coutumes de l'Ombre, je remets en avant notre qualité d'émissaires de la régente, et utilise une fois de plus (manquerais-je d'imagination et de panache ?) le Mandat, qui me doit des regards médusés et interrogateurs de plusieurs de mes cousins. Mais cette fois, le Chambellan n'y prête qu'une attention modérée...
     Sentant que la situation tourne en notre défaveur malgré ma plaidoirie, je m'empare discrètement du premier Atout qui me passe par la main. Quelle chance ! C'est celui de Flora ! Je tente de la contacter, mais en suis empêché par un Garde qui, sous l'impulsion de son chef, me blesse à la main afin de briser ma concentration. Je saigne abondamment, et dois laisser tomber l'Atout (nouveaux regards de mes compagnons, qui ne me savaient pas en possession d'un jeu). Le Chambellan nous demande alors de déposer tous nos objets. J'obtempère comme la plupart des autres, ce qui me permet de découvrir l'impressionnante collection de dagues d'Erwil... Pourquoi "la plupart" ? Parce que c'est ce moment-là que choisit Kalmdeck pour se frayer un chemin à travers le cordon de Gardes qui nous entourent. D'un geste puissant, il écarte les plus proches et dégaine sa lourde épée. Fonçant sur le point le plus faible du groupe de Gardes qui nous fait face, il se sert avec une grande dextérité du caractère exigu de la cour dans laquelle nous nous trouvons pour augmenter la difficultés des Gardes dans leur utilisation de leurs hallebardes. Malgré son physique massif, ses mouvements sont puissants, affirmés et surtout forts rapides. Il a tôt fait de s'éloigner dans les coursives, et disparaît de notre vue après avoir vigoureusement bousculé deux autres gardes qui tentaient de lui barrer le passage.



     Nous préférons une méthode plus délicate, et choisissons de suivre le Chambellan à travers le Palais lorsqu'il nous l'ordonne. Nous traversons un dédale de couloir, et arrivons finalement dans une pièce mal éclairée. Une figure imposante sort des Ombres qui baignent les murs de l'endroit. C'est Gérard, qui nous observe de son regard inquisiteur. Une fois de plus, nous nous défendons (verbalement s'entend) du mieux que nous pouvons, mais il n'en a cure. Il prend possession du grand sac contenant nos divers objets, puis nous fait sortir du Château après avoir assuré le Chambellan que Justice serait rendue. Nous nous engageons alors dans la pénombre sur la voie d'une Descente aux Enfers qui nous mène à Ambre. Gérard reste muet tout au long du périple, mais son regard taciturne nous en apprend beaucoup sur la désapprobation qu'il porte sur nos agissements.
      Notre retour passe inaperçu, mais nos n'attendons que peu de temps avant de devoir subir le regard inquisiteur de Flora. Elle est toujours accompagnée de l'Ambassadeur, dont je trouve la présence fort malvenue et quelque peu inquiétante, mais un ancien Général, Lord Chantris, aujourd'hui conseiller militaire de la Couronne est également présent. Sous son air affable et quelque peu distant, cet homme est redoutable. Je suis convaincu qu'il est capable de nous percer. On raconte même qu'il a plusieurs fois tenu tête à Benedict aux échecs. C'est dire à quel point son Esprit est alerte!
     Quoi qu'il en soit nous sommes quatre à faire notre rapport: Erwil, Gormond (que nous venons de retrouver ici), Tanya et moi-même. Rigel a disparu après avoir emmené l'homme blessé, Erwan semble être aux mains de l'Impératrice, et Kalmdeck s'est enfui. Je tente de narrer les faits le plus succinctement possible, mais m tâche est rendue particulièrement ardue par les multiples interventions d'Erwil qui tente de se disculper sous prétexte qu'il n'était au courant de rien. Les regards ténébreux de Flora à son égard m'en disent long sur leurs relations, fort peu amicales apparemment. Malgré ses diatribes, je parviens à affirmer notre innocence (passant sous silence quelques unes de nos idées les moins reluisantes), et joue également sur la corde sensible de Flora, en parlant des agissements de son fils. Tanya et Gormond me soutiennent dans mes dires, et Gormond parvient même à glisser subtilement quelques détails supplémentaires bien choisis pour renforcer le " front commun " que nous présentons à la Régente... Bientôt, ce qui avait commencé comme un interrogatoire se mue en un sermon fatigué. Un sentiment de déjà-vu m'envahit lorsque nous commençons à rejouer la scène précédente: interdiction d'aller dans les appartements royaux, ordre de comprendre la disparition de Random...
     Heureusement, nous sommes rapidement congédiés, non sans avoir pu récupérer nos effets personnels. Flora confisque cependant le Mandat (ce qui ne manque pas de me valoir quelques regards interrogateurs de mes compagnons).
     Nous retournons à nos appartements respectifs, non sans nous être promis de nous retourner le matin pour décider de notre prochain mouvement. La partie s'annonce complexe et incertaine... Je profite de ces quelques instants de répit pour contacter mon père par Atout. Les derniers événements m'ont cependant rendu méfiant, comme si je pressentais déjà un schéma gigantesque, mais dont je ne voyais pour l'instant qu'un infime coin. C'est pourquoi mes explications sont des plus succinctes, et mon attitude plutôt froide (quoique respectueuse). Père le sent bien évidemment, et me fait part de ses soupçons. Selon lui, Flora en saurait beaucoup plus qu'il n'y paraît, et le Joyau du Jugement ne serait pas arrivé entre ses mains par la seule volonté de Random... Je ne me laisse cependant pas prendre au piège. " Si vous m'avez appris une chose, c'est bien à ne faire confiance à personne. Je tirerai donc moi-même mes conclusions des événements... " lui rétorquais-je. A mon grand étonnement, un sourire se dessina sur son visage. Il semblait assez satisfait de ma réponse, et brisa le contact sur des paroles rassurantes, m'assurant de sa confiance (à la réflexion, est-ce une bonne nouvelle?)



     Au matin, après une nuit sans événement marquant, nous nous retrouvâmes pour les funérailles officielles de Vialle. L'ambiance y était morose, la plupart des personnes présentes attristées par la perte d'une reine aussi douce, aimante et intelligente; quelques autres semblaient plutôt rechercher dans les visages présents une explication à la disparition soudaine de Random. Mon père enfin, semblait à l'affût; ses yeux dardaient dans toutes les directions, comme à la recherche d'un tireur embusqué ou d'une ombre fugitive. Je me trouvais quant à moi dans le cortège funéraire, aux côtés de Tanya, tandis que Rigel, Erwil et Gormond étaient placés à d'autres endroits. Cette matinée lugubre, qui ne manqua pas de me faire ressasser des souvenirs funestes de la mort de ma Mère, se termina enfin, et je me lançai de nouveau, presque à corps perdu afin de repousser ses ombres du passé, dans la recherche de Random. la discussion alla bon train, chacun y allant de sa théorie, chacun posant des questions plus ou moins subtiles aux autres afin d'évaluer leurs connaissances de la situation... Finalement, un sentiment d'urgence nous décida à agir. Tanya et moi nous chargeâmes de retrouver l'homme blessé et de l'interroger, ce afin de découvrir si cet événement étrange avait un rapport avec Lord Rein ou Random (hypothèses certes peu probables, mais tout à fait possibles; de toute façon, nos premières tentatives avaient échoué, il était donc de notre devoir de chercher dans toutes les directions possibles).
     Un simple contact avec Gérard nous emmena jusqu'à une petite maison, tapie en Arden, et accrochée à une impressionnante falaise surplombant l'Océan. Au loin, l'image resplendissante d'Ambre brillait sous les rayons du Soleil. Gérard, toujours aussi taciturne mais néanmoins prêt à nous aider, nous laissa entrer dans la bicoque. L'homme était allongé sur un lit de camp, apparemment en proie à une vive douleur. Gérard, avant de nous laisser seul avec lui, nous mit au courant de l'état grave de l'homme, et nous assura qu'il s'occuperait personnellement de nous s'il venait à mourir. Il s'éclipsa ensuite, et le bruit déclinant de ses lourds pas nous indiqua qu'il avait eu la grâce de sortir de la maison. Tanya et moi nous penchâmes sur l'homme. Il était effectivement assez gravement blessé, mais après que nous lui ayons assuré que nous étions les personnes qui l'avions sauvé, il parvint à nous parler. Des propos incohérents venaient compliquer son récit, ainsi qu'une inexplicable envie de nous cacher quelques détails, mais nous apprîmes cependant qu'il était tombé de son cheval deux jours auparavant, lors d'une chasse organisée par Julian.
     Mais là n'était pas le plus intéressant. En effet, s'il était tombé, c'est parce que son cheval avait pris peur, une peur irraisonnée qui semblait émaner de la bête qu'ils poursuivaient. Cette bête (ce monstre, comme il l'appelait) ne s'était jamais laissé prendre, n'avait même jamais été vu par aucun des hommes de Julian, malgré les tentatives répétées de ce dernier de mettre fin à son règne de terreur. Il nous conta également les précédentes chasses, dont l'une s'était terminée dans un endroit étrange, dont la description nous surprend au plus haut point: après des heures de chasse infructueuse, les hommes de Julian arrivèrent en effet dans une clairière surplombant la mer. Au centre, une énorme massif de roses jaunes sauvages. Devant eux, une jeune femme étrange, et Erwan, qui vient tenir tête à Julian. L'homme semble penser que Julian n'a que mépris pour ce "jeune freluquet"...
     Mais cet homme nous cache quelque chose, nous en sommes convaincus. [ Gormond... Comment arrive-t-il?]



     Nous partons précipitamment, et nous enfonçons dans la forêt, suivant les maigres indications fournies par l'homme. Arden est magnifique, et oppressante à la fois. Elle possède en elle l'essence même de toutes les forêts que j'ai pu rencontrer au cours de mes voyages, et je sens sa majesté qui nous entoure, nous scrute de ses yeux innombrables, sa force immense nous enveloppant... La marche est rude, mais nous sommes tous trois aptes à endurer beaucoup plus. Tanya, qui a retrouvé des vêtements plus confortables, semble prendre plaisir à cette marche, et aucune fatigue ne se lit sur son visage. Au contraire, elle rayonne d'une énergie que je ne lui connaissais pas. Et cette énergie, nous en avons rapidement besoin...
     En effet, après seulement quelques heures de marche, des hurlements se font entendre. rapidement, les bruits enflent, et des grognements les accompagnent. Des bêtes sont sur nous. Au moment où nous nous retournons, quelque peu surpris par leur incroyable rapidité, la première de la meute saute à la gorge de Gormond, qui n'a pas le temps de réagir. Il tombe comme une masse, et la bête commence à lui lacérer les entrailles. Tanya et moi ne perdons pas de temps. En quelques instants, nous sommes sur elle, les armes à la main. nous l'attaquons sauvagement et, en proie à la douleur lorsque 'Murmure' lui broie l'épine dorsale, elle lâche enfin prise et je vois Gormond ramper péniblement pour se mettre hors d'atteinte. Evidemment, tout être normal serait déjà mort, mais son endurance hors du commun, et les capacités inhérentes à son statut de Chaosien (on raconte qu'ils peuvent se métamorphoser et se régénérer) lui ont permis de survivre à cet assaut.
     Je n'ai cependant pas le temps de méditer sur ses talents, ou sur sa malchance, car d'autres chiens (si c'est comme cela qu'on peut appeler des créatures aussi grosses qu'un lion, aux rangées de dents et à la sauvagerie impressionnantes) s'approchent à grande vitesse. Le premier me saute à la gorge mais mes réflexes exacerbés par des années d'entraînement et une poussée d'adrénaline me permettent de me baisser à temps; je l'empale proprement avec Soupir, ma main-gauche, au moment où il passe au dessus de moi. Il tombe lourdement derrière moi, mais il a emporté avec lui ma main-gauche, ne me laissant que Murmure. le deuxième avance également, mais je parviens à le feinter, puis à lui planter Murmure dans le coup, jusqu'à la garde! L'extraordinaire vitalité de la bête lui permet de bouger encore, mais ma prise est ferme, et il s'écroule finalement. Pendant ce temps-là, Tanya est également aux prises avec deux des ces immondes bêtes. Elle en a empalée une sur sa lourde épée, et s'en sert maintenant comme d'un bouclier contre l'autre bête qui tente vainement de s'approcher. Sa jambe saigne abondamment, là où l'un des chiens l'a blessée, mais elle ne semble pas en faire grand cas, et je ne peux m'empêcher d'éprouver de l'admiration pour son style de combat. Je suis encore plus impressionné lorsqu'elle réussit à empoigner la tête de la bête et à lui briser les cervicales d'un brutal coup d'épaules. Je suis convaincu que je n'aurais pas été capable d'un tel haut fait.
     La meute elle-même se rapproche. Nous nous préparons à nous battre, mais un son de cor retentit et aussitôt, les bêtes s'arrêtent. Elles grognent, bavent feulent et nous lancent des regards haineux tout en nous encerclant lentement, mais elles n'attaquent pas. Bientôt, le porteur du Cor apparaît. C'est bien sûr notre oncle Julian, qui nous aborde avec la morgue et l'arrogance qui le caractérisent. " La forêt est un endroit dangereux pour des personnes inexpérimentées ou incompétentes " nous dit-il, son regard sombre semblant nous révéler qu'il a contre nous quelque grief inexplicable. Malgré nos protestations, il ne semble pas nous tenir en grand estime, ni avoir foi en nos capacités. Il nous met une fois de plus en garde, et nous enjoint à retrouver la relative sécurité des routes, puis nous abandonne à notre sort. Ses chiens le suivent dans une masse bruyante et inquiétante, nous lançant des regards encore plus lourds de sens que ceux de leur maître.



     Il nous faut quelques minutes pour nous remettre de cet événement, qui fut éprouvant tant physiquement (la profonde blessure de Tanya est là pour l'attester) que mentalement; ce n'est qu'alors que nous remarquons la disparition de Gormond; malgré une fouille des environs, il est introuvable. Ayant entendu parler des pouvoirs des Seigneurs du Chaos, je fais part de mes soupçons à Tanya: selon moi, il s'est échappé grâce à un pouvoir que l'on nomme le Logrus. Je suis seulement impressionné par le fait qu'il ait pu l'utiliser aussi vite et aussi prêt d'Ambre, choses parfaitement impensables pour un détenteur de la Marelle comme moi. Tanya accepte ces explications sans sourciller. Sa nature, et les événements que nous avons vécus ces derniers jours (combien? deux, trois jours? Il me semble que plusieurs semaines se sont passées depuis l'arrivée de Tanya, tant ma vie a été profondément modifiée et les événements sont venus se bousculer) l'encouragent maintenant à ne plus douter de la plausibilité de telles choses. Je me demande si l'Ombre dans laquelle elle a vécu la majeur partie de sa vie présentait des caractéristiques magiques, ou technologiques. Qu'a donc vécu Tanya pour prendre tous ces bouleversements avec tant de nonchalance? De nouveau, la paranoïa héritée de Père prend pour quelques instants le dessus, et je la regarde avec une certaine suspicion mêlée de crainte. Elle ne semble cependant pas le remarquer et je réussis rapidement à me contrôler. Repoussant ces pensées malsaines au plus profond de moi-même, je lui propose de repartir. Nous ne sommes sans doute plus très loin...
     Une heure passe, pendant laquelle la forêt, silencieuse, n'est dérangée que par nos pas rapides. La blessure de Tanya s'est déjà en partie refermée, preuve de sa vitalité hors du commun. Nous autres Ambriens, sommes presque tous dotés d'une telle viriditas, une force de vie qui nous habite. Grâce à elle, nous sommes capables de soutenir un effort prolongé à un niveau surhumain. Qui d'autre en effet pourrait combattre plusieurs heures d'affilée? Mais plus encore, nous guérissons de nos blessures à une vitesse incroyable. Nous serions même capable de régénérer des membres ou organes perdus, bien que je n'aie jamais eu à tenter l'expérience. Ainsi, la sérieuse blessure que j'ai reçue à la main dans le Palais est aujourd'hui complètement guérie, alors qu'un habitant d'Ombre (que nous nommons Ombrien) normal aurait nécessité des soins, et plusieurs semaines pour un rétablissement complet. Mais certains sont encore plus doués que d'autres, et Tanya semble me surpasser dans ce domaine également.
     C'est alors que je médite sur ses capacités physiques et martiales qu'un mouvement dans les fourrés avoisinants attire mon attention. Je me retourne, et vois une forme humanoïde, apparemment drapées d'étoffes jaunes, partir précipitamment. Je me mets aussitôt à sa poursuite, et j'entends bientôt les pas de Tanya qui me suivent. La femme qui est devant moi (car il s'agit d'une femme, j'ai pu entr'apercevoir son magnifique visage, au milieu duquel deux magnifiques yeux m'ont contemplé avec une tristesse infinie) semble survoler les végétaux qui jonchent le sol. Elle ne laisse pas de traces, ne provoque pas le moindre mouvement dans les branches. Si j'étais dans les mêmes conditions, je l'aurais sans doute rattrapée, mais je suis fait de chair et de sang, et je rencontre donc sur mon chemin une résistance importante; les ronces déchirent mes habits tandis que les branches basses me fouettent violemment le visage. Je ne gagne donc que peu de terrain sur la mystérieuse femme, et lorsque j'arrive à l'orée d'une petite clairière, elle semble avoir disparu. Elle était pourtant devant moi l'instant précédent!
     C'est alors que je suis à pleine vitesse, scrutant vainement les alentours que mes pieds rencontrent le vide. Je prends conscience, comme dans une expérience onirique, tant le temps semble avoir ralenti pour se concentrer sur ce moment fatal, que je viens de sauter dans un précipice sur lequel donne la clairière d'une façon si abrupte qu'il a trompé ma vigilance. Je semble flotter un instant dans le vide, et je remarque avec un certain détachement que la chute fait plusieurs dizaines de mètres, largement suffisamment pour prononcer le mot clé de mon sort de téléportation.      Alors que mes sens reviennent au présent, que le temps semble s'accélérer démesurément pour revenir à son cours habituel, et que je m'apprête à prononcer le Verbe, une main s'abat sur moi, empoigne mon col et me ramène brutalement au sol. Je ressens un court instant une déception de ne pas avoir pu faire l'expérience de cette chute, et mon visage calme et légèrement mécontent doit sans doute fort étonner mon sauveur, qui n'est autre que Julian!



     Son regard inquisiteur se porte toujours sur moi, mais je sens que quelque chose de supplémentaire s'est glissé dans ce visage impassible. Un certaine lassitude, peut-être mélée d'une sourde crainte...
"Merci mon Oncle". Comme je l'ai sans doute déjà montré, j'ai rapidement appris que le respect paye toujours plus avec mes Oncles et Tantes que la rebellion. Tout comme j'ai compris qu'il n'est pas nécessaire de tenir compte de leurs interdictions pour peu que l'acte de désobéissance soit suivi d'un "repentir sincère", ou d'une explication nébuleuse.Quoi qu'il en soit, et comme ma moue de désapprobation initiale l'avait sans doute montré, j'ai la certitude que certains de mes talents m'auraient sans doute permis de me sortir de ce mauvais pas, mais je ne préfére évidemment pas attirer l'attention de Julian sur ce point.
"Tu pourchasses encore les fantômes, à ton âge?" La voix de Julian est dure, et je ressens une forte envie de lui répondre vertement, mais je suis habitué à de telles situations, et je suis capable de garder mon sang-froid.
"Mon Oncle, ne pensez-vous pas que ce "fantôme" est bien tangible, suffisamment présent en tout cas pour effrayer vos chiens...?". Le visage de Julian se rembrunit encore plus (si c'était possible) en découvrant que certains de ses "petits secrets" sont parvenus jusqu'aux oreilles des turbulents rejetons de ses frères ou soeurs.
Devant le temps d'hésitation de son Oncle, je choisis de gagner un peu plus de terrain dans cette joute verbale...
"Et ce "fantôme", quand est-il apparu? Avant ou bien après la maladie de notre défunte reine Vialle?". Je ressens une certaine honte à utiliser aussi sournoisement le nom de la douce Vialle mais je suis conscient de l'importance, de la gravité de la situation, et je décide donc d'agir, quoiqu'il m'en coûte...
"Cet être est sans doute venu de Tir N'a Nogh... à peu près au moment de la maladie il est vrai, bien que je ne puisse l'affirmer avec certitude".
Je suis extrêmement étonné de voir Julian coopérer avec tant de facilité, et je tente donc de pousser ma chance un peu plus, mais Julian m'arrête d'un geste.
"J'ai quelque chose à te dire; je pense que Flora se sert de toi et de tes cousins comme d'obstacles sur la route de ses frères qui tentent vraiment de découvrir les causes de la disparition de Random. Vous feriez mieux de ne pas vous occuper de tout cela, et de laisser des gens compétents s'y appliquer"
"Merci pour ce conseil, mais sachez que nous cherchons également à découvrir la vérité. Nous ne sommes le jouet de personne..."
"Bien... Nous verrons par la suite". Julian s'éloigne, et s'enfonce rapidement dans l'ombre qui borde la clairière, me laissant bouillir intérieurement de rage devant tant de condescendance. Et pourtant... et pourtant je ressens un nouveau respect pour cet Oncle généralement mal aimé et décrié. Il m'a semblé trouver en lui une force d'âme et un désir de justice que je ne lui connaissais pas...
     Tanya s'était avancée, mais n'avait pas jugé bon d'intervenir... Quelques instants plus tard, nous étions rejoints par le Chaosien Gormond, apparemment complètement remis de ses blessures. C'était le moment idéal pour commencer à explorer l'endroit où nous nous trouvions, cette petite clairière reculée où la mystérieuse jeune femme (la Déesse du poème de Lord Rein?) nous avait conduit... Au milieu de ce petit bout de terrain vert se trouve un énorme bosquet de roses sauvages...des roses jaunes pour être précis. Alors que nous tentions vainement de décrypter ce mystérieux message, les derniers rayons d'un Soleil rouge proche de l'horizon vinrent se refléter sur une surface brillante, apparemment au centre du bosquet. Nous décidames d'aller y voir de plus près.
     Après quelques minutes d'un combat acharné contre les roses qui nous entourent, nous arrivons au centre du bosquet. Là se trouve une grande dalle de marbre, de forme circulaire, et recouverte de glyphes incompréhensibles, même par moi qui ai pourtant suivi quelque entrainement dans l'Art de la Sorcellerie. Je ressens une grande force mystique s'émaner du lieu, mais ne puis, à mon grand regret, en dire plus. Pendant ce temps, Tanya prend soin de recopier quelquesuns des glyphes présents. Nous sortons finalement tous du bosquet, et c'est ce moment que Gormond choisit pour tenter une expérience de son cru: il se concentre et (d'après ce que j'ai entendu dire sur les Chaosiens), projette un filament du Logrus vers la Dalle. Aussitôt, il est pris de spasmes, comme s'il avait été la victime d'une forte charge électrique et tombe au sol, apparemment sans vie. Nous nous approchons de lui, et découvrons qu'il n'est qu'assomé. Nous ne pouvons rien faire pour lui pour l'instant.
     Je propose alors à Tanya de demeurer ici quelques instants, afin de réflechir à tout ce dont nous avons été les témoins. Après avoir été chercher un peu de bois, nous allumons un feu, et c'est à sa lumière vacillante (le soleil a maintenant complètement disparu à l'horizon) que nous découvrons que Gormond a disparu! La situation semble se complexifier à chaque instant, et je décide donc de tenter quelque chose que je n'ai jamais essayé: lire les Atouts. Sous l'oeil interrogateur de Tanya, je sors mon jeu d'Atouts et commence le tirage des lames, selon la méthode que l'on nomme la Croix de la Destinée. une fois celles-ci posées je les retourne une à une:
Le présent: Dworkin
Les Forces Cachées: Fiona
Une vision objective de la situation: Julian, inversé!
La Solution: Corwin!
La Synthèse, l'Essence de la situation: Random!
     Je sens devant ce tirage une sensation indescriptible d'angoisse mêlée d'un besoin d'agir au plus vite. Les événements s'accélèrent et si nous n'y prenons garde, ils vont sans doute nous échapper définitivement...
Ramassant mon jeu d'Atouts, je mets de côté celui de Fiona. J'ai évidemment déjà tenté, en vain, de la contacter, mais je sens l'urgence du moment, et me décide donc à retenter l'expérience. Miracle! Au bout de quelques instants de concentration, le contact s'opère. "Oui, cher neveu?", ainsi répond-elle de sa voix suave, et quelque peu amusée, à mon appel.
"Ma tante, comme vous le savez sans doute déjà, de graves événements se préparent en Ambre. Mais, je crois que nous avons découvert une clef du mystère. Nous aurons cependant besoin de votre expertise; puis-je vous demander où vous vous trouvez en ce moment?"
"Dans la Cour du Palais. Bleys et moi venons d'arriver".
"Puis-je vous demander de nous y amener, ma compagne et moi?". ce faisant, je fais signe à Tanya de m'agripper l'épaule.
"Bien évidemment". Elle me tend la main, et nous tire à elle. Nous disparaissons dans un éclat irisé pour nous retrouver immédiatement dans la cour. Quelques minutes d'explications, et la présentation des glyphes par Tanya, et Fiona est déjà sur le pied de guerre.
"Si Bleys et moi avons été absents si longtemps, c'est que nous devions faire quelques expériences. Des tests supplémentaires, que j'effectuerai dans mon laboratoire sont encore nécessaires. Dès que tout sera terminé, je contacterai toute la famille et organiserai une réunion pour présenter nos conclusions. Je vous remercie également tous deux pour ces renseignements, car je crois qu'il apportent effectivement une pierre supplémentaire à l'édifice que je tente de constuire". Malheureusement, je n'arrive à soutirer aucun détail supplémentaire, et Bleys a tôt fait d'emmener Fiona. Je me retrouve seul avec Tanya, qui semble prendre tout cela avec un phlegme hors du commun. Nous nous décidons, après cette rude journée, à prendre quelque repos, non sans nous être promis de nous retrouver le lendemain matin afin de partir pour une Chevauchée d'Enfer en direction de Random. Qui sait, peut-être pourrons-nous en apprendre un peu plus! Nous espérons également retrouver bientôt nos camarades disparus, dont la liste s'allonge chaque jour. Erwan, puis Kalmdeck et maintenant Gormond. Et nous ne savons même pas vraiment où se trouvent Erwil et Rigel!



     Mais il n'en va malheureusement pas toujours comme on l'entendrait. Ce soir même, je continue dans mes appartements les recherches magiques que j'ai entamées il y a de cela quelques semaines. Mais l'horrible conclusion ne tarde pas à m'apparaître. Malgré les premières expériences concluantes que j'avais menées à bien, il est vrai dans des conditions assez spécifiques, il m'est impossible de stocker un sort dans l'image de la Marelle! J'ai en effet entendu dire que les Chaosiens peuvent engranger leurs sorts dans le Logrus, et j'entendais faire de même avec mon empreinte de la Marelle, mais rien n'y fait! La rigidité inhérente à la Marelle demanderait au sort de s'adapter à elle, ce qui est évidemment impossible, tandis que c'est le Logrus, entité toujours changeante et "élastique", qui peut s'adapter au sort... Je suis tellement troublé et désesperé par cette découverte que je ne réponds pas aux discrets coups frappés à ma porte. Le mystérieux visiteur n'insiste pas et disparaît rapidement. Je reste de nouveau seul, dans le silence, pour méditer sur cette cruelle et amère déception. Finalement, mon esprit analytique, entraîné par les cours que j'ai suivi dans mon enfance me pousse à reprendre le dessus et à tenter de comprendre le phénomène. Rapidement j'élabore une nouvelle théorie, et parviens à une nouvelle conclusion: il faut que je me procure le Joyau du Jugement!...


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