Une fois mes vêtements d'apparat mis, je me dirige rapidement vers le Grand Hall. Les Chaosiens sont déjà en train d'entrer, et Flora, légèrement anxieuse, me prend à partie : "Fais bonne impression sur nos hôtes, et ne les laisse surtout pas s'ennuyer, ne serait-ce qu'un seul instant. Sois exquis, vif, mais jamais envahissant... " Excédé, je m'éloigne rapidement, non sans avoir cependant remarqué du coin de l'œil que Flora est au bras de l'ambassadeur des Cours en Ambre, et qu'ils semblent très bien s'entendre.
     Je jette un regard circulaire sur l'assemblée des Chaosiens, qui sont en train de remplir peu à peu le Hall. Tous sont absolument magnifiques, et le sérieux de la plupart d'entre eux ne fait qu'ajouter à l'impression de majesté et de puissance qu'ils dégagent. Si le chef de la délégation est particulièrement impressionnant, mon regard se porte cependant rapidement vers un jeune Chaosien vêtu de noir, mais au visage nettement plus rieur que ses congénères. Il semble un peu perdu dans tout ce faste, et je prends mentalement la décision de me charger de ce jeune homme. Mais, au moment où mes pas s'apprêtent à m'amener jusqu'à lui, je vois apparaître en haut de l'escalier une vision époustouflante: une jeune femme d'une très grande beauté vient d'apparaître sur le palier; ses longs cheveux et sa démarche féline lui confèrent une sorte de magnétisme animal ; elle semble mal à l'aise dans la magnifique robe que ma tante a dû la forcer à porter, mais cette légère maladresse ne fait qu'ajouter à son charme. C'est sans doute, d'après la (bien pâle) description que m'en a faite mon Père, la jeune Tanya, celle qu'il vient de ramener d'Ombre, pour " égaliser " avec Gérard. En un instant, ma décision est prise. D'un geste assuré, je bifurque, m'approche d'elle et, sobrement me présente. Je lui tends ensuite mon bras, qu'elle accepte semble-t-il avec soulagement. Je me dirige ensuite comme prévu vers le jeune Chaosien, avec cette fois une cavalière de choix !
     Les présentations se font rapidement. Malgré le tumulte qui règne en ces lieux, nous apprenons cependant nos noms respectifs (le Chaosien se nomme Gormond d'Hendrake, une Maison fort réputée pour ses combattants hors-pair ; la jeune femme est bien, comme prévu, Tanya). Nous partageons quelques banalités, mais un certain courant passe entre nous trois, peut-être parce que nous sommes, à divers degrés, des étrangers à la Cité Eternelle. J'ai également le temps d'apercevoir Erwil converser avec une jeune fille du Cercle d'Or.
     Le temps passe et l'heure du dîner s'approche. Sous la houlette de plusieurs Maîtres d'Hôtel eux-mêmes chapeautés par Flora et le Grand Chambellan de la Cour, tout le monde atteint la place qui lui était réservée. Je connais un instant de vexation en me rendant compte que je suis placé à l'une des tables les plus modestes, mais cette contrariété est vite effacée lorsque j'apprends que mes voisins ne sont autres que Kalmdeck à droite et Tanya à gauche. De toute façon, cette position permet parfaitement d'observer les différentes personnes présentes. Il est néanmoins dommage de ne pouvoir écouter leur conversations... Erwil se trouve à une table intermédiaire, entouré de nobles mineurs et semble discuter âprement avec un Chaosien à l'air hautain qui se trouve à ses côtés. Simultanément, la jeune Ombrienne et une vieille Comtesse, positionnées en face de lui, lui font une cour timide. Tous ces événements folkloriques semblent lui donner du fil à retordre, mais je ne peux pas en savoir plus. Erwan, quant à lui, se trouve auprès de sa mère, à la table d'honneur, à quelques places seulement du roi Random. Le visage de celui-ci fait de lui un bien piètre hôte, car il semble crispé dans un froncement continuel. C'est peut-être le trône vide à ses côtés qui en est la cause. Des rumeurs circulaient en effet sur une probable maladie de la bien-aimée reine Vialle, et ces soupçons semblent être ainsi confirmés. Gérard est également présent, ainsi que Llewella, Benedict et Julian ; mais point de Père, ni d'aucun autre de mes Oncles et Tantes. Quelle déception ! Moi qui espérait qu'un événement d'une telle ampleur aurait poussé au moins ma Tante Fiona à venir...
     Quoi qu'il en soit, le repas se déroule agréablement ; mes voisins de table sont distrayants et les plats savoureux ne font qu'ajouter à la plaisance du moment. Les attractions (jongleurs, chœurs...) sont de qualité, à tel point que ce n'est que plus tard que je remarquerai l'absence de la prestation de Droppa.
     C'est vers la fin du repas, alors que les esprits sont animés et légèrement embrumés, que Lord Rein, le vénéré Ménestrel de la Cour (un ami de Corwin, si l'on en croit les écrits de ce dernier) s'approche dans la lumière crue des torches et des lampes qui constellent la salle ; solennellement, il entonne de sa douce voix, devant Random un sonnet. Aussitôt, le silence se fait dans la salle afin de mieux l'écouter:

     Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé,
     Le roi des Avalons à l'orgueil aboli;
     Ma seule étoile est morte et mon luth constellé
     Porte le soleil noir de la mélancolie.
     
     Dans la nuit du tombeau, toi qui m'a consolé
     Est devenu bourreau ; le hasard a meurtri
     La fleur qui plaisait tant à mon coeur piétiné
     Et la treille où le pampre à la rose s'allie.
     
     Mais il revient ce dieu que vous craignez toujours ;
     Le temps ramenera l'ordre des anciens jours ;
     Le monde a tressailli d'un souffle prophétique
     Et le champion honni a passé ton portique.
     
     La déesse peut fuir sur sa conque dorée,
     Semer de jaunes roses à sa mémoire dédiées,
     La mer nous renvoyer son image adorée,
     Elle sera restauree, l'ancienne éternité.
     
     Ce message troublant détruit totalement l'atmosphère festive qui régnait dans la salle. Chacun se recueille un instant, comme pour percer le mystère de ces mots cryptiques, comme pour y trouver un sens caché qui ne s'adresserait qu'à soi. Plus encore, les personnes attablées restent interloquées devant la noirceur des mots, alors tous attendaient une ballade amoureuse...
     Mais point n'est possible de demander à Lord Rein la signification de son sonnet : il est parti aussitôt après la fin, tout comme Random, que l'on a vu se diriger à sa suite, peut-être pour exiger des explications... Peu à peu, le repas reprend son cours, mais les sons semblent étouffés par la lourde atmosphère qui règne maintenant. Les serviteurs s'empressent, mais la moindre maladresse rend les invités irritables, comme si le poème avait eu un effet pernicieux et insidieux sur l'âme des personnes présentes.
     Le repas touche finalement à sa fin, et je raccompagne jusqu'à leurs appartements mes deux nouveaux compagnons, non sans leur avoir promis un tour d'horizon du Château le lendemain...



     Mais la nuit n'est pas forcément bonne conseillère. Je m'éveille au son de pleurs et de cris de femmes. Prestement, je me lève, tentant d'en savoir plus. Mais c'est un triste spectacle qui s'offre à moi lorsque j'ouvre enfin la porte de ma chambre. Le bûcher funéraire sur lequel le corps de ma défunte Mère a disparu me fait de nouveau face. La peur m'étreint, et cet indicible sentiment d'une perte irréparable me reprend, mais cette fois je remarque autre chose du coin de l'œil. Presque honteux de devoir détourner mon attention, je porte mon regard à ma droite sur ce qui semble être la source de ma gêne. Lorsque ma vision se précise, je deviens sourd aux sons des lamentations de la foule, car c'est mon Père que je vois là, tapi dans l'ombre, discutant avec un homme inconnu, et arborant ce sourire narquois qui m'est si insupportable. La vision se trouble, et je me rends compte que ce n'était qu'un rêve. Mais en même temps, l'atroce certitude que cela s'est vraiment passé ainsi à mon insu s'insinue dans mon esprit embrumé. Je tente vainement de reprendre conscience, et de nouveau les pleurs de femmes se font entendre.
     Etreint soudain de la crainte de revoir encore ce douloureux moment de ma vie, je décide de réagir et m'habille, puis empoigne ma rapière, afin de m'assurer que je ne revis pas la même scène. En sortant, je ne découvre cette fois qu'un couloir désert, mais les bruits se font encore entendre. Je me dirige donc vers eux, et ce n'est que quelques mètres avant la porte que je me rends compte que mes pas m'amènent aux appartements royaux. Des gardes m'empêchent d'approcher plus avant, mais Flora, accompagnée de quelques dames de compagnie en pleurs sort peu de temps après, et son beau visage, son regard éloquent et ses yeux rougis par des pleurs difficilement contenus confirment mes soupçons... Vialle est décédée. L'image du corps de ma Mère me revient, et ce parallèle ouvre de nouveau cette terrible blessure...
     Tanya, qui m'a sans doute entendu passer et qui m'a suivi, se tient silencieusement à mes côtés et peu à peu une foule s'amasse, mais je reste silencieux et perdu dans mes pensées. Finalement, alors que je remarque que divers préparatifs sont en train d'être mis en place, je décide de me retirer. Arrivé dans ma chambre, je contacte Père par Atout afin de lui révéler ces derniers événements. Le contact s'opère étonnamment facilement, et je le trouve sur l'un de ces navires, voguant au large d'Ambre, porté par un doux roulis. Il n'est pas surpris par cette nouvelle (ce qui ne m'étonne pas ; je pense en mon for intérieur qu'il a peut-être participé à ce qui est déjà en train de devenir un meurtre dans mon esprit, et que même si ce n'est pas le cas, il préférerait mourir plutôt que de reconnaître qu'il n'est pas au courant de tout). Légèrement nauséeux devant son comportement insensible, je coupe rapidement le contact et me couche.



     Au matin, je découvris avec une certaine stupéfaction (qui ne tarda cependant pas à disparaître lorsque je fus mis au courant des derniers événements) que les Chaosiens, tout comme les Ombriens, repartaient en masse. Je m'interrogeais sur un acte aussi brutal, jusqu'à ce que je découvris que Random avait disparu hier soir, sans doute peu avant la mort de sa Reine. C'est un Erwan un peu fatigué et distant qui me mit au courant. Le pressant un peu, je fus en mesure d'en savoir plus sur les mesures qui avaient été prises la nuit dernière ; ce matin même, tous nos Oncles et Tantes joignables (en tout et pour tout seuls Gérard, Caine, Julian, Benedict et Llewella avaient pu être ainsi contactés), ainsi que les jeunes Ambriens les plus connus à la Cour (en l'occurrence Erwil et Erwan) avaient été conviés par Flora à une réunion de crise. La discussion avait évidemment tourné autour des bouleversements qu'Ambre était en train de subir, mais rapidement Flora avait avancé le sujet de la régence, se présentant comme la candidate la plus apte à jouer ce rôle (principalement parce qu'elle prétend avoir trouvé chez elle le Joyau du Jugement, signe qu'elle a été désignée à ce rôle par Random lui-même, puisqu'il portait le Joyau jusqu'à sa disparition récente), et appelant à un vote. Ayant récolté quatre " pour " (Julian, Llewella, Erwan et Erwil), deux " contre " (Caine et Bénédict) et une abstention (Gérard, qui avait réservé sa voix pour la fin, et qui s'était donc abstenu en découvrant que la majorité absolue était de toute façon acquise à Flora), elle était officiellement nommée Régente, et nous conviait tous à une réunion d'ici peu de temps...



     Et quelle réunion ! Sous le regard impérieux de l'Ambassadeur des Cours, qui semble ne plus jamais la quitter, nous sommes accueillis par Flora dans une salle du Palais. Sont présents tous les jeunes Ambriens (Erwil, Erwan, Tanya, Kalmdeck, Rigel et moi-même) ainsi que le jeune Gormond, que j'ai rencontré hier. Flora prend rapidement la parole, et nous expose les faits. Elle veut que nous découvrions le plus rapidement possible les causes de la disparition du Roi. La situation est en effet critique, et c'est donc un ordre qu'elle nous donne là. Elle nous adjoint Gormond (signe approbateur de l'Ambassadeur) en tant que médiateur des Cours, qui sera donc chargé de nous apporter de l'aide, mais également de s'assurer que nos actions n'ont aucune conséquence fâcheuse pour les Chaosiens.
     Les questions fusent bien évidemment, chacun allant de sa demande d'éclaircissement, mais notre petit "groupe" (peut-on réellement appeler ainsi un rassemblement de personnes aussi disparates, et aux intérêts divers, et sans doute contradictoires ?) semble déjà sur le pied de guerre. Malheureusement, nos questions ne rencontrent que des réponses évasives ; en particulier, il nous est dit que la fouille des appartements royaux a été déjà effectuée, et qu'il nous est interdit d'y entrer. Curieux ordre de la personne qui nous demande d'en savoir plus. Néanmoins, nous ne relevons pas, et nous nous retrouvons rapidement dans une autre pièce afin de discuter de la répartition des tâches (et surtout pour éviter le courroux de la Régente, qui semble mal prendre notre présence prolongée).
     Presque immédiatement, nous décidons de tenter d'entrer en contact par Atout avec Random, et de le faire en commun afin d'augmenter nos chances. Nous rencontrons cependant une barrière très nette, qui empêche tout contact et que nous tentons en vain de traverser. Evidemment, un tel résultat était prévisible, et nous ne sommes donc pas surpris. C'est pourquoi, nous arrivons rapidement à un accord : Lord Rein semble être un personnage clé de cette disparition ; en effet, son Sonnet est sans doute le détonateur, et il en sait donc beaucoup plus que nous sur la situation présente. Tanya, Gormond et moi-même nous rendons donc en ville afin de le chercher, tandis que les autres interrogent les gens du Palais.
     Mais notre recherche se révèle rapidement infructueuse : Rein n'a pas été vu chez lui depuis plus d'un an, et notre requête auprès de la Guilde Maritime (afin de savoir s'il est parti récemment par la voie des mers) se heurte à l'étroitesse d'esprit du Clerc qui nous entend. Il désire obtenir la preuve de notre bonne foi avant de nous fournir un quelconque renseignement. Je profite donc d'un moment d'inattention de mes compagnons pour me glisser dans une pièce attenante. Sortant alors le jeu d'Atouts que m'a donnés mon Père, je contacte Flora et lui fais la demande d'un document officiel portant son sceau et attestant de notre mission. Après un court temps de réflexion elle accepte et me tend quelques secondes plus tard le document convoité. Je reviens alors que Tanya est encore en train de tenter de convaincre le clerc. Je l'arrête d'un geste et (un peu théâtralement je dois l'avouer) exhibe le document devant le nez du clerc médusé. Il obtempère alors sans broncher, mais ne nous apprend malheureusement rien de bien intéressant. Nous revenons donc au Château bredouilles, mais je sens une lueur dans les yeux de mes compagnons, qui s'interrogent sur la provenance du mandat en ma possession. Ne voulant pas en dire plus (si Père m'a appris une chose, c'est bien de garder ses secrets), je me tais et ne prend la parole que pour répondre à leurs questions à propos d'Ambre. De retour au Palais, je leur propose d'aller fouiller la chambre des époux royaux (contre la recommandation de Flora bien évidemment) et ils acceptent, afin d'en savoir un peu plus.
     Les gardes, de nouveau, nous arrêtent à l'entrée, mais je fais de nouveau bon usage du Mandat de Flora, et nous gagnons ainsi l'accès à la pièce... qui, malheureusement, ne nous apprend pas beaucoup plus. Alors que Gormond semble plongé dans ses pensées, et que Tanya, fouille les moindres recoins des différents meubles qui ornent les murs de la pièce, je m'attelle à l'ouverture en douceur d'une serrure qui devrait me donner l'accès au cabinet de travail de Random. Malheureusement, cette serrure est d'une grande complexité, et mes connaissances sont insuffisantes. Ne voulant pas laisser de traces trop voyantes de notre passage, je ne puis me résoudre à employer des manières plus violentes, et je laisse donc à regret la porte telle quelle. Déçus par cette fouille fort inefficace, nous sortons des appartements et décidons de ne rien dire pour l'instant aux autres de cette petite escapade avant de nous rendre au lieu de rendez-vous fixé avec nos acolytes. Je note au passage, avec un frisson d'angoisse, qu'une fragile amitié se tisse trop rapidement entre nous. Je me rends évidemment compte que Père est paranoïaque au-delà de toute raison, mais je pense que sa peur viscérale d'une trahison par ses pairs provient de quelque chose de réel et je m'interroge sur l'existence d'un tel danger entre jeunes Ambriens (et Chaosiens pour l'occasion).
     Quoi qu'il en soit, Erwan, Erwil et Kalmdeck, accompagnés de Rigel sont présents, et nous apprennent que leurs recherches ne leur ont pas permis d'apprendre grand-chose, si ce n'est que Random a été vu pour la dernière fois dans sa chambre, encore en tenue d'apparat, par le serviteur chargé de lui apporter une légère collation. Quant à Lord Rein, il semble être parti à cheval immédiatement après sa prestation, mais personne ne sait où il a pu aller.
     Une discussion houleuse s'engage pour savoir quel doit être notre prochain mouvement. Rigel désire aller discuter avec nos Aînés afin d'en apprendre plus, mais Erwan veut y aller lui-même, prétextant qu'il a plus de chances de découvrir quelque chose. C'est finalement lui qui a gain de cause, et il nous quitte. Je propose quant à moi d'aller jeter un coup d'œil à la Chambre Royale (n'ayant pas dévoilé que nous l'avons déjà fait, et espérant secrètement que l'un de mes cousins nous dévoilera ainsi l'un de ses talents cachés, tout en réussissant par la même occasion à découvrir quelque chose qui nous aurait échappé). Mais le débat s'éternise, et je choisis donc de couper court en me dirigeant vers les Appartements Royaux, croyant être suivi par Kalmdeck qui avait manifesté son accord avec ma proposition. Ce n'est que trop tard que je me rends compte que je suis en fait seul, et c'est juste au moment où je m'interroge sur la sagesse d'une deuxième incursion que je me fais héler par tante Flora. Elle me reproche d'avoir utilisé inconsidérément le Mandat qu'elle m'avait fourni, mais je réussis à lui présenter une façade suffisamment respectueuse, innocente et naïve pour qu'elle ne s'irrite pas vraiment. Elle me quitte donc sur ma promesse de ne plus utiliser le Mandat de façon aussi cavalière, et en m'intimant une fois de plus l'ordre de ne pas entrer dans la Chambre Royale.
     Je rejoins mes cousins. Erwan est lui aussi de retour et nous explique sur un ton très évasif qu'il n'a rien pu tirer de nos Oncles, ni de sa Mère. Je crains qu'il ne nous cache quelque chose, mais n'en dis mot. Moi-même, je ne leur parle que très vaguement de mon investigation (précédente) dans la Chambre, leur assurant qu'il n'y a rien à y glaner à première vue, et nous décidons finalement de tenter une Descente aux Enfers vers Lord Rein dès demain. Je note au passage l'incompréhension de Tanya, et l'appréhension de Gormond. Quant à Kalmdeck, il ne semble pas faire grand cas de cette nouvelle, mais je crois discerner une légère tension dans son corps. Se pourrait-il que lui non plus n'ait pas traversé la Marelle ?



     Je me retire à mes appartements, passe un peu de temps à m'assurer que mes sorts sont en parfait état, en mémorise quelques autres parmi les plus généraux que je connaisse, pressentant que les jours à venir ne seront pas de tout repos, et médite un instant sur le caractère fastidieux de cette tâche... Je me couche ensuite, et mon lourd sommeil n'est troublé par aucun rêve douloureux. Mon réveil, par contre, m'offre un étrange spectacle : une rose jaune (dont parlait Lord Rein dans son poème, et dont Erwan m'a assuré avoir vu récemment un spécimen au Palais) est placée à ma fenêtre. Je n'ai cependant pas le temps de rechercher le responsable de ce " message ", car l'heure du départ approche à grands pas, et je ne puis que m'interroger sur sa portée symbolique : ai-je été choisi par la " Déesse " si tant est qu'elle existe ? Serai-je au contraire la prochaine victime du mal qui a rongé Vialle ? Je ne puis le savoir, et préfère d'ailleurs chasser cette pensée de mon esprit...
     De mes compagnons, seuls Erwan, Kalmdeck, Tanya, Gormond et Rigel sont présents. Nous partons néanmoins immédiatement, et commençons à traverser la magnifique et imposante forêt d'Arden afin de trouver plus loin un endroit plus propice à la traversée des Ombres. C'est en chemin que l'un d'entre nous remarque la présence d'un homme dans les fourrés avoisinants. Après investigation, nous découvrons l'un des Gardes au service de Julian, gravement blessé et dont les vêtements ont été déchirés en maints endroits. C'est à ce moment que le cor au son si caractéristique de Julian se fait entendre. Craignant pour cet homme, et ne pouvant l'interroger sur les causes de son état, tant il est mal en point, nous préférons contacter Gérard afin d'assurer les soins et la protection du Garde. Le contact s'établit sans difficulté et un Gérard taciturne accepte néanmoins de nous aider. Il tend la main et Rigel, transportant l'homme blessé, disparaît dans une gerbe d'arc-en-ciel irisés.
     Julian arrive peu après. Son air arrogant et méprisant a le don de m'irriter au plus haut point, mais je sais me contenir, et nous répondons d'une seule voix à ses questions. Nous nions bien évidemment avoir vu un de ses Gardes égarés, et nous faisons jouer notre qualité d'émissaires de la Régente pour qu'il nous laisse rapidement en paix. Il nous quitte donc, plus sombre que jamais, et sans doute convaincu de notre culpabilité dans tous les événements qui le dérangent, ce qui ne nous empêche pas de continuer notre voyage.
     De là, la route se fait plus aisée, et nous commençons à voyager à travers les Ombres. La tension est forte, car nous avons décidé d'opérer au plus vite, et les transformations qui s'opèrent autour de nous sont drastiques. Rapidement cependant, la voyage s'arrête, signe que nous avons atteint une région proche de notre but avoué, Lord Rein. Nous sommes dans une Ombre du Cercle d'Or...



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